26 Septembre 2020
Durant la Grande guerre, une épidémie de tuberculose se propage en Europe et dans les troupes Françaises amenant le gouvernement à prendre des mesures en matière de prévention... La tuberculose devient un vrai fléau, elle touche l'ensemble des classes sociales. On dénombre alors 85 000 décès par an de la tuberculose.
En France, la loi Honnorat du 7 Septembre 1919, faisant suite à la loi Léon Bourgeois du 15 avril 1916 instituant des dispensaires d'hygiène sociale, impose la création d'un sanatorium par département. Cette loi interdit également la mixité, elle oblige à "hospitaliser les sexes en quartiers séparés" au risque de perdre des subventions accordées par l'état.
C’est dans ce cadre que le Conseil Général de Seine et Oise décide le 2 juillet 1929 la construction d’un sanatorium à Aincourt, au lieu-dit "La Bucaille".
Ce domaine de 73 ha se situe au cœur du Parc Régional du Vexin Français, à flanc de colline de la commune d’Aincourt. Dominant la vallée de la Seine, il présente de nombreux avantages. Situé sur l’un des points culminants de l’ancienne Seine-et-Oise (202m), il est doté des qualités sanitaires nécessaires, air pur et isolement. Une forêt de pin des Vosges est plantée sur l’intégralité du site, afin de reproduire un environnement similaire à une clairière de montagne et d’améliorer la qualité de l’air.
Un concours est organisé et le 1er août 1930 le projet des architectes Edouard Crevel et Paul-Jean Decaux est désigné lauréat. Le cahier des charges présente un vaste programme comprenant trois pavillons de malades, disposés à 400 mètres l'un de l'autre et mesurant 220 mètres de long sur 12 mètres de large. Chaque pavillon comprend 3 étages en gradin, avec les chambres, et un niveau de toit terrasse. Des chambres, on accède à une galerie de cure, également appelé solarium, qui est divisé en plusieurs compartiments, par des coupe-vent en verre dépoli. L’orientation Sud-Est apporte à chaque pavillon des conditions lumineuses optimales. Les patients sont astreints à un repos absolu et sur ces terrasses ou solariums, ils bénéficient d’un maximum d’heures d’ensoleillement et d’air pur, nécessaire au traitement de la maladie, principal axe thérapeutique alors en vigueur, à une époque où les antibiotiques n'existent pas. "Tous au soleil" est la devise des architectes Edouard Crevel et Paul-Jean Decaux.
La construction du sanatorium d’Aincourt est une entreprise pharaonique par ses dimensions et unique par son architecture novatrice. Le conseil général a engagé initialement une dépense de 25 millions de francs, la moitié de cette dépense est supportée par l’Etat.
Le sanatorium d’Aincourt est conçu pour accueillir 500 malades, répartis sur les trois bâtiments. L'établissement comporte un pavillon pour le médecin directeur, des logements pour le receveur économe, les médecins adjoints et les internes, un pavillon d'infirmières, un pavillon de jardinier et une ferme, des logements du personnel, une station centrale de buanderie désinfection, une station d'épuration. Il fonctionne avec les vingt dispensaires du département de Seine et Oise qui sont autant de centres de dépistage et de diagnostic : le malade, avec son accord, quelle que soit la gravité de cas, est dirigé vers le sanatorium d'Aincourt.
Le 18 juillet 1933, le sanatorium du parc de la Bucaille ouvre ses portes ; c’est alors le plus grand sanatorium de France. Doté au départ de 100 lits, sa direction est confiée au Dr Albert Feret spécialiste des traitements médicaux et chirurgicaux de la tuberculose. En octobre de la même année, la capacité est portée à 500 lits. L’année 1934 enregistre 418 admissions, 209 patients et 45 décès.
Le sanatorium d'Aincourt durant la seconde guerre mondiale : un camp d’internement administratif
Le 5 octobre 1940, le sanatorium d’Aincourt devient le 1er "Camp d'Internement Administratif" de la zone Nord en application des décrets de 1939 pris par le gouvernement de Vichy et en accord avec les autorités d’occupation.
Les bâtiments permettent d’interner un nombre important de détenus, de 350 à 600 dans chacun des pavillons, les conditions d’hygiène et de commodité sont plus satisfaisantes que dans d’autres camps.
210 internés sont amenés dès le 9 octobre et placés dans le bâtiment Bonnefoy-Sibour, pavillon des hommes. Fin novembre, ils seront 600, entassés dans un seul des 3 bâtiments... et 667 en juin 41. Ils sont communistes, syndicalistes, socialistes, francs-maçons et résistants de tous réseaux.
Aincourt devient ensuite un centre d'entraînement des miliciens. Les premiers miliciens arrivent à Aincourt en novembre 1942.
En mars 1943, le secrétaire général de la Police du gouvernement de Vichy, René Bousquet y installe une école de formation des Groupes Mobiles de Réserve "GMR", chargés avec la milice, de la chasse aux résistants. "Ces Groupes Mobiles de Réserve seront des formations de policiers spécialement chargées du rétablissement de l'ordre troublé."
Cette structure est officiellement dissoute le 13 septembre 1943.
Une stèle commémorative est érigée sur le site en 1994. Elle stipule qu'Aincourt est considéré comme un camp de concentration. Chaque année, une cérémonie a lieu le premier samedi d'octobre, en mémoire des déportés qui furent internés entre 1940 et 1942.
En 1946, le sanatorium rouvre ses portes.
En juin 1944, 650 000 francs sont versés par l’Etat au département en guise de compensation à l’occupation du sanatorium.
Le docteur Henri Hamon, qui dirige l’établissement de 1951 à 1982, est un amoureux des jardins Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt. Convaincu de l’influence bienfaisante qu’un tel environnement peut avoir sur ses malades, il intègre un jardin d’inspiration japonaise au programme de transformation du sanatorium en centre hospitalier de rééducation (1973).
Les infrastructures s'avérant de plus en plus inadaptées à la pratique d'une médecine toujours plus complexe, le rez-de-chaussée du pavillon des Tamaris, utilisé spécifiquement pour soigner la tuberculose, ferme en 1987, puis c’est le pavillon des Peupliers qui ferme ses portes en 1988. En 2001, c’est la totalité des Tamaris qui ferme.
Patrimoine du XXe siècle, il est aujourd’hui désaffecté et sert de zone d’entrainement pour pompiers, de terrain de paintball et de lieu de tournage de films.
Néanmoins, depuis le 1er février 1999, le pavillon des Femmes, celui des Hommes ainsi que la station d’épuration sont classés à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. De nos jours, le parc est devenu une friche envahie par la forêt, à défaut d’entretien…
Sources |
Presse
Les travaux du sanatorium d’Aincourt, Excelsior : journal illustré quotidien : informations, littérature, sciences, arts, sports, théâtre, élégances, 30 octobre 1931
Ce que sera le sanatorium d'Aincourt, Le Matin, 1er mars 1932
Le sanatorium de la Bucaille devra-t-il fermer ?, Paris Soir, 12 février 1939
La santé des malades, la protection des bâtiments nécessitent la fermeture du sanatorium d'Aincourt, L'Humanité, 15 mai 1939
Pour soigner la tuberculose, le sanatorium d’Aincourt doit être rendu aux malades, Ce soir : quotidien d'information indépendant / directeur Louis Aragon ; directeur Jean Richard Bloch, 10 juillet 1945.
Presse spécialisée
Redécouvrir le sanatorium du parc de la Bucaille, un exemple de typologie thérapeutique, Le Moniteur Architecture AMC (Architecture Mouvement Continuité), 23 juin 2020
Commission départementale
Sanatorium de la Bucaille à Aincourt : Fixation de l’indemnité de compensation du Sanatorium d’Aincourt par un centre de séjour surveillé et la police nationale, Rapports du préfet et de la commission départementale / Département de Seine-et-Oise, Séance du 6 juin 1944
Site
Le sanatorium d'Aincourt, site consulté le 19 septembre 2020
Mémoires vives, site consulté le 19 septembre 2020
Etude
Aincourt - Centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner, Mémoire d‘Aincourt, Amicale Chateaubriand Voves-Rouillé-Aincourt, Mémoires vives des convois des 45 000 et des 31 000 d’Auschwitz Birkenau, étude jointe ci dessous
Histoire des sanatoriums en France (1915-1945). Une architecture en quête de rendement thérapeutique, Philippe Grandvoinnet, 2018
Pour aller plus loin
Un Paquebot dans les Arbres, roman de Valentine Goby, 2016, Editions Actes Sud. L'action se situe au cœur du Sanatorium d’Aincourt et relate la vie d'une famille bien réelle dans les années 1960, ravagée par cette terrible maladie.
Aincourt, le camp oublié, de Roger Colombier, aux Editions Le Temps des Cerises, 2009 A consulter blog de Roger Colombier
2020-10-04 - Les noms de 1 168 internés du camp d’Aincourt passent à la postérité - Le Parisien
Aincourt - Centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner - Mise à jour 2018