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Seine et Oise / Vexin- Sanatorium d'Aincourt, domaine de la Bucaille - 1933 - 1972

Durant la Grande guerre, une épidémie de tuberculose se propage en Europe et dans les troupes Françaises amenant le gouvernement à prendre des mesures en matière de prévention... La tuberculose devient un vrai fléau, elle touche l'ensemble des classes sociales. On dénombre alors 85 000 décès par an de la tuberculose.

En France, la loi Honnorat du 7 Septembre 1919, faisant suite à la loi Léon Bourgeois du 15 avril 1916 instituant des dispensaires d'hygiène sociale, impose la création d'un sanatorium par département.  Cette loi interdit également la mixité, elle oblige à "hospitaliser les sexes en quartiers séparés" au risque de perdre des subventions accordées par l'état.

C’est dans ce cadre que le Conseil Général de Seine et Oise décide le 2 juillet 1929 la construction d’un sanatorium à Aincourt, au lieu-dit "La Bucaille".

Ce domaine de 73 ha se situe au cœur du Parc Régional du Vexin Français, à flanc de colline de la commune d’Aincourt. Dominant la vallée de la Seine, il présente de nombreux avantages. Situé sur l’un des points culminants de l’ancienne Seine-et-Oise (202m), il est doté des qualités sanitaires nécessaires, air pur et isolement. Une forêt de pin des Vosges est plantée sur l’intégralité du site, afin de reproduire un environnement similaire à une clairière de montagne et d’améliorer la qualité de l’air.

Un concours est organisé et le 1er août 1930 le projet des architectes Edouard Crevel et Paul-Jean Decaux est désigné lauréat. Le cahier des charges présente un vaste programme comprenant trois pavillons de malades, disposés à 400 mètres l'un de l'autre et mesurant 220 mètres de long sur 12 mètres de large.  Chaque pavillon comprend 3 étages en gradin, avec les chambres, et un niveau de toit terrasse. Des chambres, on accède à une galerie de cure, également appelé solarium, qui est divisé en plusieurs compartiments, par des coupe-vent en verre dépoli. L’orientation Sud-Est apporte à chaque pavillon des conditions lumineuses optimales. Les patients sont astreints à un repos absolu et sur ces terrasses ou solariums, ils bénéficient d’un maximum d’heures d’ensoleillement et d’air pur, nécessaire au traitement de la maladie, principal axe thérapeutique alors en vigueur, à une époque où les antibiotiques n'existent pas. "Tous au soleil" est la devise des architectes Edouard Crevel et Paul-Jean Decaux.

Pose de la première pierre :  29 octobre 1931
Le corps central de chaque bâtiment est desservi par deux escaliers de chaque côté, l'édifice est construit en béton armé, et crépi, et décoré au sol de granito.
Il est à noter que le sanatorium dispose d’un système de chauffage électrique. Hésitant entre le charbon, le mazout et l'électricité, les architectes Crevel et Decaux choisissent finalement cette dernière source d’énergie dont les avantages techniques et hygiéniques et l'absence d'émanations délétères donnent à cette construction un caractère d'exemplarité.
Les architectes Decaux et Crevel étudient chaque détail de l’aménagement intérieur, tâchant d’éliminer de leurs plans la moindre saillie et le plus petit recoin afin de lutter contre la moindre poussière, toujours considérée comme le véhicule potentiel de bacilles   : Les moulures des portes et fenêtres seront arrondies, les serrures entaillées dans le montant de la porte, les angles rentrants ou saillants des murs en en plafond seront également arrondis et partout une plinthe à talon en granito, faisant corps avec le sol, est prévue. Dans le même ordre d’idées, les coupe-circuits seront dissimulés et les commutateurs encastrés dans les murs ne laissant qu’un bouton apparent.

La construction du sanatorium d’Aincourt est une entreprise pharaonique par ses dimensions et unique par son architecture novatrice. Le conseil général a engagé initialement une dépense de 25 millions de francs, la moitié de cette dépense est supportée par l’Etat.

Le sanatorium d’Aincourt est conçu pour accueillir 500 malades, répartis sur les trois bâtiments. L'établissement comporte un pavillon pour le médecin directeur, des logements pour le receveur économe, les médecins adjoints et les internes, un pavillon d'infirmières, un pavillon de jardinier et une ferme, des logements du personnel, une station centrale de buanderie désinfection, une station d'épuration. Il fonctionne avec les vingt dispensaires du département de Seine et Oise qui sont autant de centres de dépistage et de diagnostic : le malade, avec son accord, quelle que soit la gravité de cas, est dirigé vers le sanatorium d'Aincourt.

Un règlement intérieur très strict régit la vie des patients et du personnel, contraint de se loger sur le site. L’ensemble est conçu pour fonctionner avec un minimum de contacts extérieurs, telle une petite cité. Afin d’éviter tout risque de propagation épidémique, les 3 pavillons sont implantés à 400 mètres les uns des autres. Chacun des trois sanatoriums a sa vie propre : ses services généraux, cuisine, réfectoires et ses services techniques, un service chirurgical complet.
Du nord au sud on trouve :
• le pavillon des femmes ou pavillon du Docteur Vian, aussi appelé "pavillon des Peupliers" ; 
le pavillon des enfants ou "pavillon des Cèdres" ;
le pavillon des hommes ou pavillon Adrien-Bonnefoy-Sibour, dénommé également "pavillon des Tamaris".
Le sanatorium d’Aincourt, c'est... trois paquebots échoués sur une mer d’arbres.

Le 18 juillet 1933, le sanatorium du parc de la Bucaille ouvre ses portes ; c’est alors le plus grand sanatorium de France. Doté au départ de 100 lits, sa direction est confiée au Dr Albert Feret spécialiste des traitements médicaux et chirurgicaux de la tuberculose. En octobre de la même année, la capacité est portée à 500 lits. L’année 1934 enregistre 418 admissions, 209 patients et 45 décès.

1939 - Déficit d’exploitation et malfaçons, une gestion remise en cause
Le financement, en autre des journées de cure, pose problème ; en effet le prix d'une journée de chaque malade revient à 52,50 fr / jour alors que le ministère des finances n'accorde que 43,60 fr / jour d'où un déficit de presque 9fr / jour / malade... un déficit qui s'est creusé au fil des années.
Ce qui singularise le sanatorium d'Aincourt, c'est l'humidité qui y règne : l'eau suinte sur les murs. Des malfaçons, des travaux non achevés sont à déplorer, ce qui fait craindre de nombreux dangers pour les malades et le personnel.
La fermeture du pavillon des enfants est effective en février 1939, 153 d'entre eux quittent le sanatorium : certains rentrent dans leurs familles, d'autres intègrent d'autres structures (Mesnil, Eaubonne, Villepinte).
 
Situé en pleine zone de conflit armé, le sanatorium évacue les autres malades en juin 1940 ; ils sont alors répartis dans différents centres de cure protégés, en Bretagne notamment. Le sanatorium ferme ses portes le 9 juin 1940, puis est réquisitionné par les autorités militaires françaises en tant que Centre de Séjour surveillé.

Le sanatorium d'Aincourt durant la seconde guerre mondiale : un camp d’internement administratif 

Le 5 octobre 1940, le sanatorium d’Aincourt devient le 1er "Camp d'Internement Administratif" de la zone Nord en application des décrets de 1939 pris par le gouvernement de Vichy et en accord avec les autorités d’occupation.

Les bâtiments permettent d’interner un nombre important de détenus, de 350 à 600 dans chacun des pavillons, les conditions d’hygiène et de commodité sont plus satisfaisantes que dans d’autres camps.

210 internés sont amenés dès le 9 octobre et placés dans le bâtiment Bonnefoy-Sibour, pavillon des hommes. Fin novembre, ils seront 600, entassés dans un seul des 3 bâtiments... et 667 en juin 41. Ils sont communistes, syndicalistes, socialistes, francs-maçons et résistants de tous réseaux.

Le 4 décembre 1940, 100 d’entre eux seront emmenés à Châteaubriant parmi lesquels 27 seront fusillés le 22 octobre 1941. Des transferts sont régulièrement organisés vers d’autres camps ou prisons, beaucoup sont déportés vers les camps de concentration d’Auschwitz, Buchenwald et Oranienburg Sachsenhausen.
Les "politiques" sont remplacés par des femmes à partir de mai 1942 : 93 femmes ; 60 sont des internées politiques et 33 dites "juives, étrangères, prostituées ou condamnées de droit commun".
La décision de fermer le camp d’Aincourt est prise dès le début de l’année 1942 et le 1er septembre, Vichy ordonne l’évacuation totale du camp pour le 15 septembre.
Les femmes sont livrées par la police de Vichy à la Gestapo. Déportées à Ravensbruck, peu d’entre elles reviendront.
Plus de 1 500 hommes, femmes et enfants sont internés à Aincourt de 1940 à 1942.

Aincourt devient ensuite un centre d'entraînement des miliciens. Les premiers miliciens arrivent à Aincourt en novembre 1942.

En mars 1943, le secrétaire général de la Police du gouvernement de Vichy, René Bousquet y installe une école de formation des Groupes Mobiles de Réserve "GMR", chargés avec la milice, de la chasse aux résistants. "Ces Groupes Mobiles de Réserve seront des formations de policiers spécialement chargées du rétablissement de l'ordre troublé."
Cette structure est officiellement dissoute le 13 septembre 1943.

Une stèle commémorative est érigée sur le site en 1994. Elle stipule qu'Aincourt est considéré comme un camp de concentration. Chaque année, une cérémonie a lieu le premier samedi d'octobre, en mémoire des déportés qui furent internés entre 1940 et 1942.

 

En 1946, le sanatorium rouvre ses portes.

En juin 1944, 650 000 francs sont versés par l’Etat au département en guise de compensation à l’occupation du sanatorium.

L’activité reprend progressivement son niveau normal et se développe même, puisque le 22 juin 1955 est inauguré un bloc opératoire de chirurgie thoracique, très moderne pour l’époque, baptisé "Pierre Le Foyer", du nom d’un grand chirurgien thoracique.
Mais l'arrivée des antibiotiques et la régression de la tuberculose obligent les pouvoirs publics à reconsidérer la destination du sanatorium.
En 1972, le sanatorium devient un centre médical et l'ancien Pavillon des Enfants (pavillon des Cèdres) subit des travaux de rénovation jusqu'en 1975 pour devenir un centre de rééducation fonctionnelle.

Le docteur Henri Hamon, qui  dirige l’établissement de 1951 à 1982, est un amoureux des jardins Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt. Convaincu de l’influence bienfaisante qu’un tel environnement peut avoir sur ses malades, il intègre un jardin d’inspiration japonaise au programme de transformation du sanatorium en centre hospitalier de rééducation (1973).

Les infrastructures s'avérant de plus en plus inadaptées à la pratique d'une médecine toujours plus complexe, le rez-de-chaussée du pavillon des Tamaris, utilisé spécifiquement pour soigner la tuberculose, ferme en 1987, puis c’est le pavillon des Peupliers qui ferme ses portes en 1988. En 2001, c’est la totalité des Tamaris qui ferme.

Patrimoine du XXe siècle, il est aujourd’hui désaffecté et sert de zone d’entrainement pour pompiers, de terrain de paintball et de lieu de tournage de films.

Le pavillon des  Peupliers, pavillon des femmes, a, entre autre, servi de décor pour la fin du film Le Serpent. On peut y voir Clovis Cornillac et Yvan Attal se battre.

Néanmoins, depuis le 1er février 1999, le pavillon des Femmes, celui des Hommes ainsi que la station d’épuration sont classés à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. De nos jours, le parc est devenu une friche envahie par la forêt, à défaut d’entretien…

Un projet de logement semble se profiler, gageons que cela aille à son terme, redonner vie à ce site serait une belle perspective…
Sources

Presse

Les travaux du sanatorium d’Aincourt, Excelsior : journal illustré quotidien : informations, littérature, sciences, arts, sports, théâtre, élégances, 30 octobre 1931

Ce que sera le sanatorium d'Aincourt, Le Matin,  1er mars 1932

Le sanatorium de la Bucaille devra-t-il fermer ?, Paris Soir, 12 février 1939

La santé des malades, la protection des bâtiments nécessitent la fermeture du sanatorium d'Aincourt, L'Humanité, 15 mai 1939

Pour soigner la tuberculose, le sanatorium d’Aincourt doit être rendu aux malades, Ce soir : quotidien d'information indépendant / directeur Louis Aragon ; directeur Jean Richard Bloch, 10 juillet 1945.

Presse spécialisée

Redécouvrir le sanatorium du parc de la Bucaille, un exemple de typologie thérapeutique, Le Moniteur Architecture AMC (Architecture Mouvement Continuité), 23 juin 2020

Commission départementale

Sanatorium de la Bucaille à Aincourt : Fixation de l’indemnité de compensation du Sanatorium d’Aincourt par un centre de séjour surveillé et la police nationale, Rapports du préfet et de la commission départementale / Département de Seine-et-Oise, Séance du 6 juin 1944

Site

Le sanatorium d'Aincourt, site consulté le 19 septembre 2020

Mémoires vives, site consulté le 19 septembre 2020

Etude

Aincourt - Centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner, Mémoire d‘Aincourt, Amicale Chateaubriand Voves-Rouillé-Aincourt, Mémoires vives des convois des 45 000 et des 31 000 d’Auschwitz Birkenau, étude jointe ci dessous

Histoire des sanatoriums en France (1915-1945). Une architecture en quête de rendement thérapeutique, Philippe Grandvoinnet, 2018

Pour aller plus loin

Un Paquebot dans les Arbres, roman de Valentine Goby, 2016, Editions Actes Sud.  L'action se situe au cœur du Sanatorium d’Aincourt et relate la vie d'une famille bien réelle dans les années 1960, ravagée par cette terrible maladie.

Aincourt, le camp oublié, de Roger Colombier, aux Editions Le Temps des Cerises, 2009 A consulter blog de Roger Colombier

2020-10-04 - Les noms de 1 168 internés du camp d’Aincourt passent à la postérité - Le Parisien

Aincourt - Centre d’internement de 1940 à 1942, détourné de sa vocation première, celle de soigner - Mise à jour 2018

Chambres individuelles de cure du sanatorium d'Aincourt © Cartes postales Delcampe
 

Le sanatorium du parc de la Bucaille. L’usine : la désinfection - © Photographie, 1998, archives de la Direction Régionale des Affaires Culturelles d'Ile-de-France (DRAC), "Dossier Sanatorium d'Aincourt, Val d’Oise".

Photographies issues de l’article  paru dans l'AMC, voir sources
 

 

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