16 Juin 2020
C'est en juillet 1902 qu'est décidée la construction du sanatorium de Sainte-Feyre, situé dans La Creuse ; ce sera le huitième en France. Le choix du terrain s’arrête sur les pentes du Puy de Gaudy, un ancien oppidum gaulois près de Guéret. Cet ensemble de parcelles de 17 hectares, situé à environ 490 m d'altitude, représente un lieu idéal de guérison pour diverses pathologies pulmonaires
L'architecte parisien Louis Marney est désigné pour dresser les plans et établir un devis. La première pierre est posée le 15 septembre 1904. Le granit est trouvé sur place.
Le bâtiment mesure 190 m de long. Alfred Leune se révèle un précurseur en exigeant des chambres individuelles au grand désespoir de son trésorier.
Le sanatorium est doté d’une pharmacie, d'un laboratoire riche des appareils les plus modernes, d'une salle de radiographie, de salles de désinfection, de salles de bains, de douches…
La thérapeutique est sommaire : cure de repos intense et suralimentation, 5 repas par jour.
Il y a également une ferme avec 2 bœufs pour labourer, 4 vaches pour fournir du lait aux malades, une porcherie et un poulailler. Une partie de la propriété a été conservée en prairie, une partie cultivée en potager et une troisième boisée en essences résineuses.
Le docteur Berthelon, assisté d’un médecin auxiliaire et d’une infirmière, accueille ses trois premiers pensionnaires le 20 août 1906.
7 octobre 1906 - Inauguration du sanatorium
Léon Bourgeois, Président de l'Alliance Internationale contre la tuberculose, clôt son discours par un hommage appuyé à M. Alfred Leune, père de cette grande famille enseignante. Le directeur est alors assisté de 6 employés dont Armand Devoize, économe, François Gravillon, cocher, Jean Bain, infirmier.
Le jour de l'inauguration, 12 personnes sont hospitalisées, huit femmes et quatre hommes.
Le sanatorium des instituteurs peut être considéré comme le premier grand sanatorium corporatif.
Fin 1907, il n'est occupé qu'à 1/3 de sa capacité. Les causes : la peur de l'hôpital, pas de compensation à la suite de la perte du salaire des fonctionnaires. Vers 1910, les effectifs atteignent 80 pensionnaires.
En 1911, 100 chambres sont occupées. Les séjours y sont courts : les malades étant obligés de subvenir par leurs propres moyens aux frais de leur cure (4,50 F par jours)
Les pensionnaires prennent leurs repas dans une salle à manger très spacieuse et mesurant 7 mètres de haut.
En dehors des repos et des promenades réglementaires, les pensionnaires peuvent occuper leurs loisirs à la bibliothèque, à la salle de jeux, à la salle de spectacles; ils disposent d'instruments de musique, d'un cinématographe, d'un phonographe, etc ...
A Sainte-Feyre, 2/3 des malades soignés en 1912 avaient été " guéris ou très améliorés".
En septembre 1913, le Président de la République, Raymond Poincaré, en visite touristique de 7 jours en Limousin, Quercy et Périgord, lors de son étape entre Guéret et Aubusson, fait un détour par le Sanatorium pour le visiter et saluer les malades. Il est accompagné de Monsieur René Viviani député de la Creuse. Cette visite marque une reconnaissance de l'établissement.
Première Guerre Mondiale
Pour faire œuvre de patriotisme, Alfred Leune met le sanatorium à la disposition de l’armée. Transformé en hôpital militaire spécialisé dans le traitement de la tuberculose, il accueille près de 1 500 soldats entre 1915 et 1918.
Pour compenser sa fermeture, l’Union décide de verser une indemnité de 1,5 francs par jour à tous les membres de sociétés affiliées à l’Union en traitement dans un autre sanatorium
A la fin du conflit, la récupération de l’établissement est source de difficultés. L’armée française tarde à restituer un sanatorium fort utile dans cette région militaire, où il est le seul établissement accueillant les soldats tuberculeux.
De ce fait, le ministère de la Guerre déclare que "les services ainsi rendus par la maison de Sainte-Feyre lui paraissaient trop importants pour qu’il puit (sic) renoncer à s’en servir".
Il faut attendre l’intervention de Léon Bourgeois, en septembre 1918, pour que l’Union récupère 34 lits. Finalement, le 20 juin 1919, un contrat conclu avec les services de santé militaires restitue l’intégralité du sanatorium à ses propriétaires.
A l’occasion du centième anniversaire de l’Armistice de la première guerre mondiale, la commune de Sainte-Feyre a souhaité restaurer le monument aux morts et le carré militaire. Ceci a pu être réalisé grâce à l’aide financière et technique de l’ONAC et du Souvenir Français. Le carré militaire est composé de 131 sépultures de soldats décédés au Sanatorium de Sainte-Feyre (actuel CMN) réquisitionné sous la dénomination «Hôpital complémentaire n° 38» à partir du 1er janvier 1915. Un statut particulier est attribué à cet hôpital, celui de recevoir en majorité des soldats atteints de tuberculose. . Dès son ouverture, 86 blessés y furent accueillis, pour arriver à 350 malades le 17 avril 1916.Au total, 3 200 poilus seront soignés à Sainte-Feyre. On peut voir sur les tombes le nom de ces soldats qui viennent de tous les départements français mais aussi de différents pays : Sénégal, Chine, Tchécoslovaquie, Madagascar.Le 20 juin 1919, l’hôpital complémentaire n° 38 a été restitué aux autorités civiles
Bulletin municipal 40, Mairie de Sainte Feyre, année 2018
En France, la loi Honnorat du 7 Septembre 1919, faisant suite à la loi Léon Bourgeois du 15 avril 1916 qui institua des dispensaires d'hygiène sociale, impose la création d'un sanatorium par département. Cette loi interdit la mixité au risque de perdre des subventions accordées par l'état.
A Sainte-Feyre, le pavillon des Dames est nettement distinct de celui des Hommes. La séparation des sexes sera donc observée en toute occasion, même pour les séances récréatives. Par exemple, il y a cinéma un jour pour les dames et le lendemain pour les messieurs.
Les hommes et les femmes mangent dans la même salle mais à des tables différentes
Dès 1926, Mr Lapie directeur de l'Enseignement Primaire constate que la recrudescence de la tuberculose du fait de la Guerre et l'augmentation importante des membres de l'Union (90 sociétés mutuelles affiliées avec 71 000 membres.) nécessitent un agrandissement de l'établissement.
Après un appel à la souscription volontaire, "l'aile-est", en briques apparentes, est construite. Cette aile comprend 60 chambres avec 73 lits. La construction est dirigée par les architectes Louis et Georges Marnez. Après l'extension, en 1928, le sanatorium comprend 268 lits.
Son inauguration a lieu le 13 novembre 1927 par Mr Rosset directeur de l'Enseignement Primaire
Le 17 avril 1930, l'Assemblée Générale de l'Union des Sociétés de Secours Mutuels décide que désormais l'établissement est baptisé "Sanatorium Alfred Leune".
Alexandre Leune décède le 9 décembre 1930.
En 1932, la clinique Sylvabelle, à Saint-Jean d’Aulph (Haute-Savoie), est acquise, par l'UNSSMI selon les procédés traditionnels de la souscription et de subventions.
Au nom de la morale, on oblige l'hospitalisation des hommes et des femmes dans des bâtiments distincts. Plusieurs établissements, mixtes à leurs débuts, doivent alors répartir les malades des deux sexes dans des sanatoriums distincts, voire éloignés, c'est notamment le cas pour le sanatorium des instituteurs à Sainte-Feyre qui n’accueille plus que les hommes partir de 1932, les femmes étant envoyées au sanatorium de Saint-Jean-d'Aulph.
L'introduction de la chirurgie pulmonaire au sanatorium de Sainte-Feyre est l’œuvre du docteur Pierre Dreyfus-le Foyer. Il réalise ses actes chirurgicaux régulièrement par séances de plusieurs jours à Sainte-Feyre. En 1939, les nouvelles techniques nécessitent la création d'un service chirurgical de 5 chambres qui sont aménagées dans les galeries de cure du premier étage ouest. La partie chirurgie est aménagée au-dessus au 2ème étage.
Seconde Guerre Mondiale
Pendant cette guerre, les Maquis s'organisent, la résistance est importante en Creuse et le nouveau Médecin-directeur (1940-1944), le Docteur Marmet participe activement à cette dernière.
L'établissement ayant échappé à la réquisition en 1939 doit mettre un étage à la disposition des F.F.I. pour les malades passibles d'opérations chirurgicales.
Un "centre clandestin" de soins et de ravitaillement pour les Résistants creusois est installé au Sanatorium. Les Docteurs Marmet, Garnier et leur équipe vont cacher dans l'établissement des médecins juifs, hospitaliser des maquisards malades et opérer les blessés.
Bien des résistants sont mis à Sainte-Feyre à l'abri de l'occupant qui craignait le voisinage des tuberculeux.
A la fin des hostilités, le sanatorium est en piteux état, il manque d'eau, le chauffage est absent ...
Les réparations sont telles que les disponibilités financières de l'UNSSMI ne sont pas en état de les supporter.
D'autre part, l'affluence des malades est si importante qu'il faut attendre quelques fois un ou deux mois pour pouvoir être admis. Un nouvel agrandissement est à envisager.
Le 8 décembre 1946 est créée la Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale (MGEN).
On construit le Pavillon du Personnel qui pendant une période accueillera également les accompagnants des pensionnaires.
Plus tard, ce pavillon du personnel sera baptisé "Pavillon Jean Brenaut" en l'honneur de l'intendant universitaire Jean Brenaut, en poste à Sainte Feyre depuis septembre 1931.
Le pavillon est inauguré le 11 juin 1950.
On procédè alors à un aménagement moderne de toutes les chambres ; les anciennes galeries de cure sont aménagées et incorporées dans les services administratifs et économiques. Ces travaux portent la capacité d'hospitalisation de 102 à 250 malades.
En 1953, une rotonde est construite en saillie et greffée sur le bâtiment central pour permettre l'extension de la salle à manger devenue trop exiguë qui oblige 2 services.
La rotonde a une structure en partie en béton armé et en partie métallique, pour la façade. Elle repose sur deux piliers principaux et est reliée par des poutres-tirants à la structure du bâtiment initial.
La toiture terrasse est couverte d'un matériau étanche. Le sol de la salle est revêtu de petits carreaux de mosaïque bleu et les menuiseries des fenêtres sont en bois.
Mais le 9 septembre 1953, un incendie accidentel détruit entièrement la salle de spectacle qui est dessous.
Cette incident accélérera les études et la décision favorable à la construction d'un Bloc Médico-chirurgical qui était en projet depuis 1950.
Le 23 décembre 1953, la Commission des investissements de la Creuse accepte l'agrandissement.
L’année 1958 voit le début de la construction de la nouvelle "aile-ouest". Elle sera inaugurée en janvier 1964.
Avec ce nouveau pavillon, le bâtiment s'étend de 60 m avec :
- au rez-de-chaussée : une salle de spectacle de 272 fauteuils avec un auditorium, une bibliothèque, une salle de lecture et de jeux ;
- au 1er étage : les bureaux des médecins, des salles de radiologie, de radioscopie, un laboratoire, une pharmacie et une salle de relaxation et de rééducation fonctionnelle ;
- au 2ème étage : une salle de d'opération avec une installation dernier cri pour la chirurgie thoracique et 10 chambres de réanimation.
Dans les années 60, les progrès de la science avec notamment la survenue d'antibiotiques efficaces a fait reculer la maladie. Le sanatorium s'est vidé peu à peu de ses "tuberculeux", 41 % des lits sont vides. Se pose alors le problème de l'avenir de tous les sanatoriums dont celui de Sainte-Feyre.
Le bureau national de la M.G.E.N. est très inquiet quant à son maintien ; en effet, aux difficultés financières s’ajoutent une négligence dans les travaux d'entretien et le confort des chambres… Devant l'importance des dépenses à envisager, un douloureux dilemme s’impose aux administrateurs : moderniser ou abandonner et détruire...
Septembre 1967 : nomination d'un nouveau Médecin-directeur, le Docteur Maurice Petit à qui est confié la tâche de tenter de résoudre le problème.
Le Sanatorium a vécu en tant que tel, il doit être reconverti.
Le choix se porte vers les affections respiratoires et maladies cardio-vasculaires tout en conservant une activité chirurgicale thoracique de haut niveau.
L'établissement qui a pris le nom de "Centre Médico National Alfred Leune", présente l'originalité de présenter tous les niveaux d'hospitalisation: court, moyen et long séjour.
En 1975, Sainte-Feyre prend la responsabilité des cinq dispensaires antituberculeux du département de la Creuse.
La rotonde a été labellisée patrimoine du XXe par arrêté du 30 juillet 2014.
Aujourd'hui, l’établissement de médecine, de soins de suite et de réadaptation - Groupe MGEN – site Alfred Leune est un établissement privé participant au service public hospitalier. Sa capacité est de 165 lits et de 13 places répartis sur 3 spécialités, cardiologie, pneumologie, oncologie.
L’établissement assure également plusieurs missions de services publics.
L'EHPAD MGEN de Sainte- Feyre est ouvert à tous. L’ensemble des places de l’établissement est habilité à l’aide sociale. Il dispose de 45 places (chambres individuelles et sanitaires individuels) sur 3 étages : dont une unité spécifique de 18 lits, dédiée à l’accueil des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées.
Sources
Site internet - http://riboulet.info/sana/pages/historiquesana.htm - Consulté Avril - Mai 2020
Bulletin municipal 40, Mairie de Sainte Feyre, année 2018
Rotonde du centre médical A. Leune, Architecture et patrimoine du XXe siècle en Creuse n.d.
L’Œuvre, Le sanatorium des instituteurs, 7 avril 1929
Méry, Henri (1862-1927). Auteur du texte. Traité d'hygiène. 6, Hygiène scolaire / par les Drs H. Méry,... et J. Génévrier,.... 1914.
Le Petit journal, Le Sanatorium de Sainte-Feyre, 8 octobre 1906, P 3